Et la neige disparaît...
Selection Texte en cours 2016
Texte de Natacha Dubois
Personnages:
BLANCHE
Le Miroir
La Parfumière – personnage vidéo
Les Loupiots et la Famille Sètenins - peuvent être pris en charge par un chœur d’enfants/ados
LA MAIN – n’est pas à distribuer, le personnage sera pris en charge au moment de la représentation par quelqu’un du public choisi au hasard par Le Miroir
Prologue
Le public entre dans le teint du miroir. La salle entière est l’espace intérieur du miroir. En fond de scène, se trouve la vitre du miroir qui donne sur le monde, l’extérieur, la lumière. Le Miroir joue avec les reflets. Des Loupiots sont sur scène ils jouent eux aussi comme une résonance.
Le Miroir :
Violet bleu turquoise vert jaune orange rouge violet bleu turquoise vert jaune orange rouge violet bleu turquoise vert jaune orange rouge violet… Je suis le miroir du bout du couloir.
Vous êtes ici de mon côté. Côté reflet. Oui, là où ça miroite.
Le miroir ? C’est moi. C’est lui. C’est eux.
Les Loupiots :
C’est moi ! C’est moi ! C’est moi !
C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi !
Le Miroir et les Loupiots :
C’est nous !
Vous êtes ici chez nous !
Le Miroir :
Oui ! Vous êtes ici chez nous pour regarder l’envers du monde !
Ou le monde à l’envers èdragueur reoup ici eutè ouv !
Vous comprenez ?
Si vous prenez le temps de regarder le monde dans l’autre sens,
Non, dans l’autre sens.
Dans l’autre sens.
Dans l’autre sens.
Et bien vous vous donnez la chance de trouver un autre sens au monde !
Je suis le miroir du bout du couloir ! De l’autre côté là-bas se trouve votre monde !
Vous êtes ici chez moi
Profitez-en : ouvrez grand vos yeux !
Là vous voyez, c’est vous !
Dévisagez-vous comme vous n’avez jamais osé le faire !
J’aime les visages ! Je les attire ! Les admire ! Les mémorise ! Je les collectionne !
Mais attention nous sommes bien au-delà des apparences !
L’envers de là-bas ou là-bas à l’envers ce n’est pas rien !
Savez-vous qu’il est possible de se souvenir du futur ?
Oui, d’ici, de l’autre côté de là-bas, il est possible de se souvenir du futur !
Vous voulez voir ? Vous voulez voir !
Alors je vais vous montrer un futur souvenir ! Regardez !
Sur la vitre du miroir, le blanc fond, la lumière laisse apparaître des ombres. Des images.
Là c’est chez moi dans votre monde.
L’endroit où je suis posé.
Mon couloir !
C’est calme mais derrière ces portes, il y a une tempête de neige.
Des tonnes et des tonnes de neige qui recouvre les routes et les trottoirs
Apparaît un couloir avec la Parfumière avec un chat.
Elle c’est la Parfumière, elle va s’en aller. Disparaître !
Apparaît un couloir avec Blanche. Elle regarde le miroir et puis ramasse son chat et part.
Et elle, c’est Blanche.
Blanche elle arrive !
Elle va venir se poster face à moi.
Elle va se regarder. Elle va affronter le jugement de son œil.
Elle va se découvrir telle qu’elle est.
Elle s’aimera ainsi !
Et comme Alice au pays des merveilles, après avoir franchi la frontière,
De petit pion, elle va devenir reine !
Elle est comme vous !
Vous voulez la rencontrer ?
Vous voulez qu’on la fasse venir ici ?
Derrière la vitre du miroir apparaît Blanche en chair et en os.
Le Miroir :
Alors approche-toi Blanche !
Viens, regarde toi !
Elle se regarde si profondément.
On dirait que la glace est prête à se briser.
Des craquements ? oulala ça va peter !
Oui ça va peter !
Attention ! Attention ! Ça va péter !
Tête entre coudes. Contre votre siège. Ne paniquez pas !
Explosion. Le miroir reçoit de la poussière dans la figure. Des cailloux volent dans l’espace de la scène. Les Loupiots attrapent Blanche. Elle a traversé le miroir.
Le Miroir :
Ça a péter ! On ne panique pas ! Nous sommes en état de choc.
Jingle.
Le Miroir :
Le miroir réfléchit le monde et il vous donne des nouvelles.
Flash Spécial Information.
Nous venons de faire face à une énorme explosion.
Des débris miroitants continus encore de retomber sur notre ville.
Nous n’avons pas encore d’informations permettant de savoir si l’incident a fait des victimes.
Il est très difficile de joindre un reporter sur place.
Paysage onirique. Cratère. Gravats. De la fumée. Odeur forte de produit chimique. Parfum et boules puantes. Les Loupiots relâchent Blanche qui court au cœur du cratère.
BLANCHE :
Papa !
Jingle.
Le Miroir :
Le miroir réfléchit le monde et il vous donne des nouvelles.
Flash Spécial Information.
On rapporte que l’explosion à laquelle nous venons tous d’assister viendrait du nord de notre ville, et plus précisément de l’usine de cosmétiques. Elle a explosé. Nous sommes en direct sur les lieux de la catastrophe : nous sommes au cœur du cratère. Il y a de la fumée. Nous distinguons une enfant, seule, au beau milieu des décombres. Elle appelle son père.
BLANCHE :
Papa !
Le Miroir :
Ici, l’air est âcre. Ça sent l’urine de bouc et la pomme sauvage. Le manteau de neige, qui recouvrait notre ville… Les tonnes de neige qui submergeaient notre ville ont disparu. Toute la neige a disparu ! C’est étonnant, a-t-elle été soufflée par l’explosion ? La sorcellerie existerait-elle ?
Crépitation détonation souffle éclat boom ! Et la neige disparaît…
Ne pas panique pas ! Ne pas panique pas ! Pas panique pas ! Pas panique pas ! Panique pas ! Panique pas ! Panique ! Panique ! Panique ! Papapapapapapapapapa
BLANCHE :
Papa ? Papa, t’es là ?
Je suis où ? Vous êtes qui ?
Le Miroir :
Ne panique pas, tu es dans une salle de spectacle.
Non, non… tu es dans le miroir du bout du couloir ?
Non, dans le cratère d’une usine qui vient d’exploser.
Et moi je suis le miroir du bout du couloir.
Les Loupiots :
Nous ? On admire les visages !
On les englobe !
Les mémorise !
Les collectionne !
Dévisage-toi vas-y !
Regarde toi en moi !
Regarde nous ! Nous sommes ton miroir !
Elle a un problème avec son menton, non ?
Fuyant ou sortant ton menton ?
Non c’est le nez !
Trop gros ou trop petit ton nez ?
N’importe quoi ! Elle a le nez de sa mère.
Tout le monde aimait le nez de sa mère.
Ah, les mains ! Elles sont boudinées !
Oui regardez ses doigts !
Ben, ils sont plutôt osseux, non ?
Qu’est-ce que tu en penses Blanche ?
BLANCHE :
Je cherche mon père. Mon père !
Les Loupiots :
Ce qui saute aux yeux ce sont
les boutons qui commencent à bourgeonner là et là et là.
Non, c’est les dents.
Il lui faudrait un appareil pour les dents, non ?
Le sourire niais
Rien à faire, l’air bêtasse
Le visage tout entier
On dirait un garçon, non ?
Pas du tout, elle n’a pas de poils de barbe !
Elle n’a pas les muscles non plus !
Et elle a pas l’air courageuse !
Elle a l’air trop intelligente pour un garçon !
Le sourire est charmant
Avec ce sourire, elle peut décrocher la lune.
Les yeux qui brillent, ça c’est la vie.
Les yeux qui brillent c’est le courage aussi !
L’intelligence !
L’envie de pleurer, oui !
BLANCHE :
Je cherche mon père !
Les Loupiots :
Au milieu d’un cratère ?
Qu’est-ce qu’elle fait là celle-là ?
T’as qu’à lui demander !
Qu’est-ce que tu fais ici ?
C’est interdit de venir.
C’est dangereux ici !
Il y a du poison dans le noir des cailloux.
Tes parents, ils t’ont pas dit que dans ce cratère
Il y avait une tortionnaire. Une sorcière
Il y a eu la révolution : tout a pété
Et la sorcière est partie.
Tu n’as pas entendu les explosions ?
BLANCHE :
Si ! Bien sûr !
Les Loupiots :
On dit qu’il ne faut pas s’approcher des oiseaux.
Des corbeaux surtout. On dit que la sorcière
Elle s’est changée en corbeau pour s’enfuir.
Les corbeaux c’est les plus intelligents des oiseaux.
Alors il faut que tu fasses gaffe !
BLANCHE :
Oui, je sais !
Les Loupiots :
T’as pas peur ?
Pourquoi t’es ici ?
Le Miroir :
C’est quoi ce rouge ?
Les Loupiots :
C’est du sang ?
BLANCHE :
Non !
Du rouge à lèvres.
Les Loupiots :
Du rouge à lèvres ?
Vermeil ou groseille ?
Cardinal !
Incarnat ?
Cerise !
Rubis ?
Sang.
Sang sang.
BLANCHE :
Du rouge Rouge
Je suis devenu une jeune femme !
Le miroir efface, sur le visage de Blanche, les deux traits rouges qu’elle avait sous les yeux.
Les Loupiots :
Quoi ?
Elle se prend pour une princesse !
Le Miroir :
Si je puis me permettre, une princesse c’est plutôt rose, non ?
Les Loupiots :
T’es qui ? T’es débile ?
Pourquoi t’es ici ?
BLANCHE :
Je m’appelle Blanche. J’ai dix-huit soixante quinze de moyenne.
Ma belle-mère a voulu me tuer.
Mais j’ai survécu et j’ai grandi et maintenant je cherche mon père.
Les Loupiots :
Quoi ? Ta belle-mère a voulu te tuer ?
Elle se prend pour Blanche-Neige !
Tu te prends pour Blanche-Neige ?
Le Miroir :
« Il était une fois une princesse…
Les Loupiots :
Et cette princesse, c’était toi !
Le Miroir :
Qui devint amoureuse.
Est-ce que ce fut difficile ?
Ce fut très facile, je t’assure. »
Il était beau comme un camion
et toi t’étais un sucre d’orge
et tu rêvais de l’épouser.
Alors tu es… rentrée dans l’image.
Être belle belle belle comme le ciel,
et lui fort fort fort comme le roquefort !
Les enfants se mettent à chanter « Un jour ton prince viendra et il t’emportera ».
Les Loupiots :
Un jour ton prince viendra et il t’emportera
Si merveilleux, comment résister ?
Un jour, t’as vu ton Prince,
Ce jour, tu l’as aimé,
Il t’a tendu la main en souriant,
Allez viens le bonheur nous attend !
Et t’es bien dégoûtée
De passer ta journée
A nettoyer ses caleçons
A frotter les paillassons
Alors que tu rêvais d’être…
Archéologue ? Cosmonaute ? Chirurgienne ?
Philosophe ? Politicienne ?
Chef d’orchestre ? Avocate ?
Architecte ? Footballeuse ? Alpiniste ?
Pilote d’avion ? Océanographe ?
Comédienne ?
Les enfants disent chacun une chose qu’ils rêvent d’être. Brouhaha des désirs.
BLANCHE :
Non mais ça va pas ! C’est pas du tout ça !
Le Miroir :
Oui, un prince charmant-charmant tel qu’il…
N’en existe PAS !
Non, il n’en existe pas, laissez tomber. Direct !
BLANCHE :
N’importe quoi ! Rien à voir ! Je suis. Je suis moi. C’est tout.
Il n’y a ni prince ni princesse dans mon histoire.
Je n’ai pas du tout perdu mes rêves.
La seule chose ici qui ressemble à Blanche-Neige… c’est vous !
Le Miroir :
Moi !
Les Loupiots :
Nous !
Le Miroir :
Le miroir…
Jingle.
Le Miroir :
…réfléchit le monde et il vous donne des nouvelles.
Flash Spécial Rembobinage.
Vous êtes à l’envers du monde ! Vous êtes dans le miroir du bout du couloir
Ce que vous venez d’entendre, les explosions, le cratère, Blanche dans le miroir et qu’elle cherche son père, tout ça, c’est la fin de l’histoire de Blanche, THE The End !
Là où nous en sommes, quoi !
Nous avons plongé dans son visage !
Glissons nous dans son histoire ! Retour au début ! Back to the begining !
Place ! Place ! Faites place au passé !
Tsssi Tsssi Tsssi
Le Miroir fait signe aux Loupiots ; ils ramassent les gravats. Grande pétarade mais à l’envers. Rembobinage sur le plateau.
Rembobinage maestro !
Bla bla bla bla bla bip bip bip tic tac tic tac tic STOOOOOP
Écoutez !
Vers la mélancolie. De la neige qui tombe.
1- Le début
BLANCHE :
Lorsque je suis née il neigeait
À gros flocons sur les cerisiers en fleurs
On m’attendait dehors
Depuis plusieurs jours.
J’ai hérité de la peau blanche de mon père
Une peau de poulet
Mon père dit une peau de
Lune
Parce que je ne supporte pas le soleil
Ma Lune Ma Blanche
il dit.
De ma mère j’ai hérité des cheveux
Noir-ébène
Des yeux verts et des lèvres
Comme le sang dans lequel ma mère mourut.
Je venais d’avoir un an.
Nous partions en vacances
Et sur la route un pont s’est jeté sous les roues.
La voiture s’est écrasée contre la pierre.
Il a dû y avoir un bruit très fort de métal froissé
Un silence dans les oreilles qui sifflent
Et puis j’ai dû pleurer.
J’ai dû pleurer, mon père m’a dit que j’avais sur le front une très grosse bosse
Cramoisie.
J’ai grandi comme ça dans les bras de mon père qui pleurait
Jusqu’à cette soirée d’automne où il glissa à mon oreille :
Blanche inspire et d’un trait dit :
– J’ai rencontré une femme je ne sais pas si je suis assez bien pour elle je ne sais pas si je suis assez bien je ne sais pas si ça va marcher entre nous je voudrais que toi aussi tu l’aimes.
Son cœur se pince très fort et il remonte jusque dans sa gorge.
Pour la première fois
Il n’y avait plus de larmes dans les yeux de mon père
Alors j’ai dit : D’accord.
– Elle va te plaire, ma Lune ! Elle est parfumière. Parfumeuse ! Elle fabrique parfum, poudre, pommade, rouge à lèvres, rose à joues et bleu à paupières.
J’ai dit : D’accord. Et lui : Tu vas l’adorer, elle est… Magnifique !
J’ai regardé tomber les premiers flocons de neige.
Je pensais à ma mère.
J’allais quitter l’enfance.
Blanche noircit.