La note d’Elisabeth Chabuel

7 44 est publié par K éditions (Rochechinard) en mai 2008, avec l’aide de la Région Rhône-Alpes.

Au printemps 2004, alors qu’on parlait un peu partout de célébrer le 60ème anniversaire des événements de 1944 dans le Vercors, je propose d’effectuer une performance à la librairie Mosaïque à Die. J’ai dit aux libraires que je voulais faire une écriture quotidienne, que du 1er au 31 juillet, je voulais venir chaque matin afficher un texte que j’aurais écrit la veille.

J’ai un fort lien affectif avec le Vercors, tout particulièrement avec Vassieux, le village natal de ma mère. C’est l’endroit où elle a passé son enfance. Et c’est l’endroit où ensuite, en compagnie de mon grand-père, mon oncle, ma tante, mes cousins et leurs amis, j’ai moi aussi passé toutes les vacances de mon enfance. La forêt, la campagne étaient pleines de mystères. Il y avait un univers étrange, un univers peuplé de présences, entre autre lié à des esquisses d’histoires que m’avait racontées ma mère à propos des événements de 44 qu’elle y avait vécus. Elle me racontait à demi-mot ses petites choses d’enfant : sa paire de souliers neufs brûlée avec la maison. Un jour où après la pluie, ils s’étaient hasardés à rentrer pour se changer, et parce qu’elle avait rechaussé ses vieux souliers avant de repartir. Ou également sa poupée, fourrée dans un baluchon de linge que sa mère avait eu la présence d’esprit de jeter dans un champs à quelques pas de la maison. La maison a brûlé et c’est tout qui est resté, ce baluchon…

Elle m’a raconté des petites choses concrètes, des fragments tout en désordre. Et puis j’ai grandi et on n’a plus parlé de rien… Au printemps 1999, pendant la guerre du Kosovo, au moment des bombardements de l’Otan, un jour à table devant l’exode des Albanais à la télévision, ma mère a subitement redit un mot pour évoquer qu’elle avait vécu un peu ça à Vassieux en juillet 44. Elle voulait comparer les événements. Pour moi ça a été une sorte de choc.

Ce mot de ma mère déclenche en moi ce début de quête que je concrétise en juillet 2004 par la performance 7 44. Je voulais retrouver ce que m’avait raconté ma mère pendant mon enfance, sur un événement vécu de son enfance, et tenter, au fur et à mesure, d’en restituer quelque chose, dans une sorte de processus ouvert.

Je suis partie sur le souvenir suivant : la famille a dû quitter sa maison, pour se cacher dans les bois. Je voulais me représenter leur survie, sachant qu’ils se sentaient traqués, donc perpétuellement sous l’emprise de la peur.

Après quelques essais, j’ai choisi d’écrire « j’entends l’histoire ». Et dans cette voix (ma voix) qui dit « j’entends l’histoire » se feraient entendre les voix de mes quatre personnages : L’enfant, La mère, Le père, et Les parents les amis. J’avais moi-même fixé mes contraintes : que chaque texte quotidien ne fasse pas plus d’une page, que chaque page soit à la fois indépendante, car des lecteurs pourraient ne venir qu’une fois, et à la fois s’inscrire dans la continuité, car d’autres lecteurs allaient sans doute revenir chaque jour. Une fois la page exposée, le texte serait comme scellé. J’ai donc écrit le premier texte le 30 juin, pour l’afficher le 1er juillet et ainsi de suite jusqu’au 31, tous les jours ouvrables de la librairie. Chaque jour, j’ai collé ma page du jour par dessus la page du jour précédent.

Élisabeth Chabuel

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