Revue de presse

UNE FEMME FRANÇAISE

Le Dauphiné Libéré, Grenoble
Samedi 17 mars 2012.

Pour sa nouvelle création Natacha Dubois a choisi d’évoquer l’histoire d’une de ces femmes dont on ne parle jamais, celle dont “on cultive l’oubli”, ces Françaises tondues à la libération et condamnées pour collaboration. Le texte signé Flora Donars s’applique à esquisser un parcours intime et singulier. Il nous propose de découvrir “Juliette R.” en suivant dans ses suppositions une jeune fille qui s’interroge sur une vieille femme aperçue dans son enfance et dont elle retrace peu à peu l’existence en ouvrant de mystérieuses boîtes remplies de souvenirs. Sur le plateau, ceux-ci s’incarnent à travers une danseuse qui, accompagnée d’un musicien, nous entraîne dans les dédales de la mémoire, faisant surgir des bribes d’instants qui vont dévoiler la vérité.

UNE INVITATION A S’INTERROGER SANS A PRIORI SUR UN EPISODE ENCORE TABOU DE NOTRE HISTOIRE

Une vérité qui se construit comme un puzzle à travers une succession de scènes, légères ou poignantes, brutales parfois dans leur intensité visuelle, auxquelles guitare électrique et percussions donnent une force supplémentaire. Cette construction, mais aussi le dialogue entre les disciplines, ainsi que les échos de “Roméo et Juliette” qui ponctuent la pièce, placent judicieusement le public en position de témoin, ou d’enquêteur, face à un cortège de flash-back qui l’émeuvent et l’interpellent. Ainsi sans porter de jugement, sans victimisation ni mise en accusation, ce spectacle invite le public à une cheminement pour s’interroger sans a priori sur un épisode encore tabou de notre histoire.

Annabelle Brot

JULIETTE SANS ROMÉO

Le petit bulletin Article publié le Lundi 19 mars 2012 (Petit Bulletin n°836)
mis à jour le Vendredi 30 mars 2012

Théâtre / Pour sa nouvelle création, Natacha Dubois, que l’on avait découverte en 2009 avec un efficace Pour en finir avec le jugement de Dieu sur Antonin Artaud, développe toujours une esthétique très rock (la présence sur scène à chaque fois de musiciens), et une approche du théâtre réfléchie et intéressante. À savoir porter sur le plateau non pas une simple pièce, mais un véritable propos. La metteuse en scène a ainsi composé un spectacle autour de la figure de Juliette R, femme tondue après la Seconde Guerre mondiale pour un amour jugé immoral avec un Allemand. Pour cela, elle a demandé à l’auteure Flora Donars d’écrire un texte autour de cette histoire, en la mêlant à celle de Roméo et Juliette, de Shakespeare. Partir d’un fait et tirer le fil pour évoquer le destin de cette femme (qui a véritablement existé) et la période extrêmement tendue et violente de l’après-guerre : le pari était audacieux. Et visuellement, la scénographie, avec cet astucieux mur fait de plusieurs boîtes comme autant de coffres à trésors et souvenirs, illustre parfaitement la vie décousue de Juliette R, et le silence qui a dû être le sien sur une partie de sa vie. Pourtant, à une semaine de la première, le résultat, volontairement fragmentaire et chargé en images, n’arrivait pas encore à rassembler tous les morceaux du puzzle pour faire sens. Laissons-lui donc le temps de se solidifier, car paradoxalement, tous les ingrédients semblent réunis pour une chouette aventure théâtrale.
AM

Critique, deuxième ! / Nous avons finalement revu le spectacle le jeudi 29 mars, soit quinze jours après la première tentative à laquelle nous avions été conviés. Un nouvel essai qui a infirmé nos réticences et amplement validé nos supputations lâchées en fin d’article : oui, Juliette R est une chouette aventure théâtrale. Les morceaux du puzzle ont été rassemblés, les nombreuses images (dont certaines puissantes, comme lorsqu’une danseuse campant Juliette R marche sur les pointes entre les cris de la foule) font maintenant sens, s’articulant habilement à l’intérieur de ce récit nourri de zooms sur les différentes parties de la vie de la protagoniste – son premier voyage en Italie après ses années de prison, son ressenti devant les images de la chute du mur… Une proposition atypique et – surtout – audacieuse, traitant avec finesse (par le biais de l’intime donc) d’un sujet on ne peut plus délicat.