Les tondues : Rappel historique

Extrait de La France “virile” de Fabrice Virgili

« De 1943 au début de l’année 1946, la tonte de la chevelure a été massivement pratiquée à l’encontre des femmes accusées d’avoir collaboré avec l’occupant allemand.

20 000 femmes environ, de tous âges et de toutes professions, ont été tondues sur l’ensemble du territoire français. La diversité des « tontes » interdit toute explication univoque. Elles concernent les sphères publiques et privées, les rapports entre les sexes et ceux entre les occupants et occupés ; elles sont une violence physique et symbolique, un acte punitif avec une dimension combattante. […]

On trouve parmi les tondeurs, des résistants et des participants au combat de la Libération, des voisins descendus dans la rue après le départ des allemands et des hommes investis du pouvoir de police et de justice. Tous ont exercé ces violences, à huis clos – dans l’enceinte d’une prison ou au domicile des châtiées – ou sur la place publique. Dans ce dernier cas, si seuls des hommes ont tenu ciseaux et tondeuses, l’ensemble de la population, hommes, femmes et enfants, assistait à la cérémonie, tout à la fois spectacle et manifestation du châtiment des traitres. […]

Pour une bonne partie de la population, il s’agit de la première violence exercée contre l’ennemi, ou plutôt contre celle qui l’incarne. Elle lui permet de passer de la violence subie de l’occupation, à une violence donnée. Enfin redevenue actrice, elle s’affirme dans une identité commune patriotique. »

Extrait de Les tondues d’Alain Brossat

« Le chercheur qui s’attaque aux tontes sera contraint de se replonger dans l’étude des cultures populaires et festivités d’antan pour comprendre cette fête des fous (des sots…) ; le voici sommé de revisiter la chasse aux sorcières des XVIe et XVIIe siècles pour tirer le partir de toutes les correspondances entre leur destin et celui des tondues […] le voilà cherchant du côté du philosophe René Girard des lumières sur le bouc émissaire, s’interrogeant sur cet « instinct » de la masse. Les tontes, à la Libération se présentent à qui sait voir, bien moins comme ce moment-répugnant-où-se-déchaine-la-bassesse-de-la-populace que comme une sorte de patchwork ou de pot-pourri disparate – boitant au retour de la ligne du temps – de coutumes, d’usages, de scènes du passé, de rites, de débris mythologiques assemblés à la diable. Peut-être est-ce ce statut ambigu des tontes comme éclat dans le présent d’un passé en pièces et inintelligible, comme répétition de ce que l’on a depuis longtemps oublié, qui en fonde l’actualité : en revenant sans cesse de manière toujours inopinée, en porte-à-faux, elles nous rappellent d’une manière fatidique que nos montres ne sont plus réglées sur Cronos, le temps homogène et vide de l’Histoire, continu et bien orienté, mais sur Kairos, le temps irrégulier mais créateur, avec ses stridences, ses catastrophes et ses miracles – ses écheveaux du présent, du passé et de l’avenir. »