L’auteur et le texte
Pour en finir avec le jugement de Dieu est l’un des derniers textes d’Antonin Artaud (1896-1948). Artaud l’écrit en 1947, dans l’après guerre, à sa sortie de l’hôpital psychiatrique dans lequel il a passé huit années (soumis aux expériences médicales de cette époque : électrochocs, etc).
Par ce texte, Artaud lance un appel : « comment trouver un moyen de reconstruire nos valeurs, faut-il des valeurs ? ». Il perçoit autour de lui la perspective de la guerre froide, les enjeux et dangers d’une société basée sur le capitalisme. Ainsi Artaud écrit Pour en finir avec le jugement de Dieu comme il dirait une messe, s’adressant aux hommes pour les faire agir autant qu’à Dieu pour le provoquer (ou pour provoquer les hommes qui croiraient encore).
Il s’agit de l’un des textes majeurs de cet auteur marginal (après Le théâtre et son double et Le pèse nerf). La vision de l’art et du théâtre d’Antonin Artaud a influencé l’histoire de l’art. Beckett, la danse Bûto ou, plus près de nous, un metteur en scène comme Roméo Castelluci travaillent sur ces traces. Artaud propose d’utiliser la violence de l’émotion pour pousser le spectateur à remettre en cause fondamentalement son rapport au monde et à ses valeurs. Certains ne voient sa proposition que comme une utopie. Nous souhaitons expérimenter encore cette limite qui lie l’émotion à la morale.
Pour l’enregistrement radiophonique de 1937, Antonin Artaud distribue les cinq monologues de Pour en finir avec le jugement de Dieu à trois acteurs, et c’est sa voix que nous entendons dans le premier et le dernier des textes. Nous avons choisi pour cette création d’oublier l’émission radiophonique. Ainsi, nous ne donnons qu’une seule voix au texte. Celle que nous avons entendue la première fois à l’intérieur de nous-même en le lisant. Et pour faire entendre le texte, nous donnerons à ce qui était un travail sonore, radiophonique, une dimension scénique, chorégraphique et musicale.
Extrait 1 – « La Recherche de la fécalité »
« Pour exister il suffit de se laisser aller à être,
mais pour vivre,
il faut être quelqu’un,
pour être quelqu’un,
il faut avoir un os,
ne pas avoir peur de montrer l’os,
et de perdre la viande en passant.
L’homme a toujours mieux aimé la viande
que la terre des os.
C’est qu’il n’y avait que de la terre et du bois d’os,
et il lui a fallu gagner sa viande,
il n’y avait que du fer et feu
et pas de merde,
et l’homme a eu peur de perdre la merde
ou plutôt il a désiré la merde
et, pour cela sacrifié le sang. »
Extrait 2 – « Conclusion »
« Que voulez-vous dire, monsieur Artaud ?
Je veux dire que j’ai trouvé le moyen d’en finir une fois pour toutes avec ce singe
et que si plus personne ne croit plus en dieu tout le monde croit de plus en plus dans l’homme.
Or, c’est l’homme qu’il faut maintenant se décider à émasculer.
Comment cela ?
Comment cela ?
De quelque côté qu’on vous prenne vous êtes fou, mais fou à lier. »