La note de Flora Donars

Juliette R. a été écrit par Flora Donars, d’après la commande d’écriture et avec la collaboration de Natacha Dubois.

Juliette R. n’est pas tout à fait l’histoire d’une vie. C’est un peu l’histoire d’une femme : Juliette R., tondue face à la mer en 1945. C’est aussi l’histoire du silence qui l’immerge des décennies encore après la tonte. Juliette R., c’est l’histoire d’un oubli. L’histoire d’une Histoire dont on cultive l’oubli. Ressurgissant parfois, au détour d’une dispute familiale, d’une rumeur entendue il y a longtemps, à voix basse – d’ailleurs l’a-t-on vraiment entendue ? Nous voulions chercher les résonances de ce silence, chercher l’histoire. Pour nous, pour les autres, pour la suite. La chercher comme on mène une enquête. En croisant les faits, les preuves, les doutes, en les éclatant pour mieux les retrouver.

Il y avait aussi l’envie de faire parler tous ceux qui ont entouré ce silence. Tous ceux que nous avons pu croiser pendant notre enquête. Ceux à qui l’on a raconté ces journées de libération, ceux qui les ont vécues, ceux qui les ont écrites, ceux qui ont traqué ce silence, les chercheurs comme Brossat ou Virgili. La méthode du documentaire, fragmentaire et séquentielle, a fini par s’imposer à nous. L’idée n’était pas de traquer la vérité ni de la restituer de manière brute. Le documentaire nous intéressait en ce qu’il superpose différentes couches des vérités de chacun, en laissant le spectateur faire sa propre cuisine. C’est cette notion du documentaire que nous avons donc essayée d’exploiter. Elle permettait aussi de chercher l’histoire intime de chacun. De travailler sur ce qui dérange dans les silences de l’Histoire, à différentes échelles générationnelles. De chercher les minuscules fissures qu’a pu creuser en nous ce silence. Qu’est-ce qui nous dérange aujourd’hui encore ? Qu’est-ce qui dérange une petite fille de tondue ? Qu’est-ce qui dérange dans ces photos de femmes exhibées nues et le crane rasé ? Pourquoi est-ce toujours si difficile d’en parler soixante ans après ? Quelle place peut prendre notre récit au cœur de ce silence ? Comment rendre compte de cet état d’oubli consensuel ?

Il y avait aussi ce lien avec Roméo et Juliette que nous ne pouvions pas nier. Beaucoup de femmes ont été tondues à la Libération pour crime d’adultère avec l’ennemi, ce qu’on appelait alors « collaboration horizontale ». Mais bien souvent, la question se pose, comme dans Roméo et Juliette, du simple crime d’amour. Juliette R. a quasiment le même âge que Juliette Capulet quand elle tombe amoureuse d’un soldat allemand. L’idée n’était pas de parachuter Juliette R. dans la tragédie shakespearienne, mais plutôt de s’inspirer de certains passages de la pièce, quand la vérité fictionnelle de Shakespeare semble s’entrecouper avec la notre. Notre volonté était de se servir de cette rencontre comme d’échappées oniriques, afin de mieux saisir poétiquement ce qu’il pouvait se passer aux tréfonds des silences de Juliette R.

Autour du phénomène des tondues, la foule joue un rôle primordial. C’est cet état de foule qui perd le contrôle d’elle-même, après quatre années de guerre qui nous a interpelés. Cette foule ivre de joie libératrice, mais aussi de rancœurs et de blessures. Au cœur de la foule, la femme tondue se dresse comme le bouc émissaire idéal décrit par René Girard. La communauté doit passer par un acte de violence fort et collectif, allant jusqu’à l’exclusion d’un des leurs, pour se retrouver et reconstruire ensemble. La foule est la part sombre de cette période. Ce qu’on ne maitrise pas. Là où les corps parlent malgré eux, où l’organique se met en action sans que rien ne puisse l’arrêter. Ce spectacle ne cherche pas à disculper à tout prix les tondues, ni à les présenter comme des victimes innocentes. Nous ne leur cherchons pas non plus d’excuses. Nous voulons juste arrêter le regard du spectateur sur une zone refoulée de la mémoire collective. Nous voulons interroger notre présent au regard de ce passé embrumé. C’est par l’intermédiaire de l’histoire de Juliette R. et du mystère qui l’enveloppe que nous espérons pouvoir soulever ces questions.

Flora Donars

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